Nos cousins canadiens, qui bataillent pour la défense de la langue française, ont trouvé une traduction parfaitement à la hauteur de ce film-OVNI : La cartographie des nuages…
Un scénario aussi ambitieux que maîtrisé
Je me garderais bien d’essayer de synthétiser ce film, qui est en réalité l’imbrication de six histoires distinctes (à première vue), se déroulant dans des lieux et à des époques différentes : du XIXe siècle à l’an 2321, de San Francisco à Séoul en passant par Edimbourg… Le tour de force du scénario est de créer un incroyable lien entre ces histoires, par les personnages, les situations, les mots, des détails… Cloud Atlas pose des questions, dont les thèmes se résument en une phrase, prononcée par l’une des héroïnes : « Sachons que notre vie n’est pas la nôtre. Du berceau au tombeau, nous sommes liés les uns aux autres. Dans le passé et le présent. Et par chacun de nos crimes et chacune de nos attentions, nous enfantons notre avenir. »
Peut-on voir ici une référence à la pensée bouddhiste – réincarnation, karma et responsabilité de chacun –, qui pousse à mener des actions justes ?
Quelques notes qui traversent le temps
La musique, confiée à Reinhold Heil, Johnny Klimek et Tom Tykwer, joue un rôle essentiel dans le film, agissant comme un liant, tour à tour au cœur de l’histoire (le thème principal étant une œuvre à part entière, créée dans l’un des six récits) ou en fond sonore. Le couple image/musique, lorsqu’il est parfaitement maîtrisé, a le pouvoir de décupler les émotions que l’on peut ressentir, et c’est le cas dans Cloud Atlas. Selon les arrangements, le thème se montre mélancolique, épique, glaçant…
Accueillir l’étrange
Difficile d’imaginer ce qu’ont ressenti les réalisateurs, Lana et Andy Wachowski et Tom Tykwer, lorsqu’ils ont achevé le montage du film (inspiré du roman de David Mitchell). Selon un journaliste, « avec Cloud Atlas, les Wachowski voulaient réaliser leur propre 2001, l’Odyssée de l’espace ». Difficile également de deviner quel allait être l’accueil du public et des critiques. Il fut mitigé ! Si des journalistes ont reconnu « une fascinante démonstration du caractère magique et onirique du cinéma », « une saga épique, inclassable et bouleversante », « un tourbillon d’émotions, (…) une écriture magistrale et un montage (…) vertigineux », d’autres ont vu dans cette œuvre « un maelström d’images et d’histoires » et « des segments qui ressemblent plus à de longues bandes-annonces qu’à une unité narrative ». Quoi qu’il en soit, Tom Hanks, l’un des acteurs de Cloud Atlas, le considère comme « l’un des deux films auquel il est le plus attaché ». En cela, il nous donne peut-être une clé : cette Cartographie des nuages, délicate à saisir, fragmentée et entière, relève de ce fil fragile et très personnel qu’on appelle l’attachement. Parce qu’il est philosophique et incarné, comique et lyrique, sombre et lumineux, Cloud Atlas est peut-être génial et raté.
De mon point de vue, c’est un film qu’il faut tenter d’accueillir sans préjugés, les bras grands ouverts, sans crainte d’être dépassé par l’ampleur et la fragmentation du récit – petit à petit, tout s’imbrique ! –, en créant une relation directe avec l’œuvre, sans le filtre de nos jugements et de nos pensées automatiques.
Que l’on ait saisi toutes les subtilités de l’histoire ou seulement quelques fragments, Cloud Atlas nous laisse une multitude de sentiments. D’abord, un vertige, après cette traversée d’espaces-temps qui finalement fusionnent en un Tout cohérent. Ensuite, un sentiment d’absolu, en résonance avec les thèmes qui jalonnent le film – l’amour, la mort, la quête, la rébellion, l’amitié, le secret, et bien d’autres… Enfin, il est difficile de sortir de ces histoires. On aimerait les retrouver, comme dans une série, ou du moins en prolonger l’atmosphère. Pour cela, rien de tel que d’écouter la B.O. du film.
Et s’il fallait citer une dernière phrase du film, pour tenter d’en donner le sentiment général, elle serait : « l’amour est une force, en quelque sorte un des leviers du monde. »
Cloud Atlas (Cartographie des nuages), film germano-américain, écrit, produit et réalisé par Lana et Andy Wachowski et Tom Tykwer. Sortie : 2012. Adaptation du roman éponyme de David Mitchell, publié en 2004.
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