Extinction, Rebellion, illusion

Pour les rares personnes qui n’auraient pas entendu parler de Extinction Rebellion (XR), il s’agit d’un mouvement écologiste radical né à Londres en 2018, et dont a branche française s’est illustrée notamment par un sit-in sur le pont de Sully à Paris le 28 juin 2019, ou l’occupation du centre commercial Italie 2 le 5 octobre dernier.

Il se présente comme « un mouvement mondial de désobéissance civile en lutte contre l’effondrement écologique et le réchauffement climatique » et exige :
• la reconnaissance de la gravité et de l’urgence des crises écologiques actuelles et une communication honnête sur le sujet,
• la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2025, grâce à une réduction de la consommation et une descente énergétique planifiée,
• l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres, à l’origine d’une extinction massive du monde vivant,
• la création d’une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs et garante d’une transition juste et équitable.

Je partage certaines de ces revendications et, en partie, le constat qui sert de légitimité à ce mouvement : l’inaction des politiques en dépit des alertes scientifiquement étayées, depuis bientôt 50 ans (notamment par le groupe de réflexion Club de Rome en 1972 avec la publication du  rapport « Meadows »). 
Mais la nature de la réponse choisie par XR et la forme de son combat me semblent aller exactement à l’encontre des objectifs que ce mouvement poursuit.

Le syndrome des mouvements sans tête

Le mouvement étant sans hiérarchie, sans porte-parole fixe et décentralisé, il n’est pas voué à dialoguer, construire un échange avec le pouvoir en place (ou les partis d’opposition), ce qui n’est pas sans rappeler, sur ce point précis, l’organisation du mouvement des « Gilets jaunes ». 

L’autre problème des mouvements holacratiques (sans hiérarchie) est d’agréger des individus très hétéroclites, qui agissent et parlent au nom d’un mouvement, sans qu’aucune autorité ne juge ni endosse la responsabilité de ces actes et de ces paroles, ce qui provoque fatalement des dérives.

Daniel Boy, directeur de recherche au CEVIPOF, juge que la « radicalité absolue » du mouvement, c’est-à-dire « le refus assumé d’entrer dans une logique de négociation » conduit Extinction Rebellion à l’absence de résultats concrets et à l’impuissance (Le Monde du 11 octobre 2019).

« Le refus assumé d’entrer dans une logique de négociation conduit Extinction Rebellion à l’absence de résultats concrets et à l’impuissance »

Daniel Boy

La question de la désobéissance civile

Intéressons-nous d’abord au nom même du mouvement : Extinction Rebellion. Il fait à la fois référence à l’extinction (nous sommes en train de vivre la 6e extinction de masse) et à la rébellion (à ce sujet, ce mot s’écrit bien, en Français, avec un accent. Il faudrait donc que les journalistes choisissent entre une prononciation à l’anglaise ou à la française, mais pas le terrible « extinction reubellion »). 
La rébellion a comme synonymes – pour les plus doux – l’opposition et l’insubordination et, pour les plus forts : l’insurrection, la mutinerie, la révolte, la sédition, le soulèvement. Ce n’est donc pas un hasard si le « nom de code » des actions entreprises ces derniers jours est « soulèvement d’automne ». Entre soulèvement, insurrection, révolte et rébellion, on est loin du champ lexical de la non-violence, pourtant prônée par le mouvement.

XR entend mener des actions de désobéissance civile : « des actions coups de poing spectaculaires et transgressives comme des occupations de l’espace urbain de grandes villes. Ses membres n’hésitent pas à s’attacher à des bâtiments publics, à bloquer la circulation routière et empêcher l’accès aux sièges de grandes entreprises. » (Wikipedia)

Un mouvement non-violent ?

Si le mouvement se revendique non violent (c’est le 9e des 10 principes affichés sur son site), on peut considérer que bloquer la circulation, investir un centre commercial, empêcher l’accès à des entreprises sont au contraire une forme de « violence passive » qui n’est pas sans conséquence (un train manqué, une consultation prévue de longue date ou une réunion professionnelle annulées…).

Par ailleurs, en prenant en otage une partie de la population à chacune de ces opérations, le mouvement crée de la violence : à la fois dans les ressentis (frustration, colère, incompréhension…), dans les mises en scène radicales (déversement de faux sang sur les marches du Trocadéro le 12 mai 2019), mais aussi physiquement : ce fut le cas à Londres le 17 octobre dernier quand un « Rebelle », monté sur le toit d’un métro, a été violemment pris à parti par des voyageurs excédés. Voilà un exemple d’action non pertinente (le métro est l’un des moyens de transport les plus écologiques), totalement improductive et qui va à l’encontre du but recherché. En ce sens, il n’est pas sans rappeler les actions des vegans extrémistes envers les boucheries.

L’ancienne ministre de l’Environnement Ségolène Royal juge ce mouvement violent et appelle à sa répression rapide. Elle ajoute que XR dégrade l’image de l’écologie et précise que, selon elle, «  l’écologie, c’est la paix [et qu’elle] doit conduire à l’apaisement des sociétés  ».

« L’écologie, c’est la paix. Elle doit conduire à l’apaisement des sociétés »

Ségolène Royal

Des sauveurs du climat ? 

Avec son énergie, son déploiement rapide (500 groupes revendiqués dans le monde en moins d’un an d’existence), XR a des atouts pour séduire et galvaniser.

Selon une militante de la manifestation du 7 octobre à Paris, « il faut qu’on se lève partout dans le monde pour faire changer les choses. Nos gouvernements ne font rien, ou ils mentent. » (Le Monde du 7 octobre 2019).

On ne peut que regretter cette défiance envers le pouvoir et l’exagération des propos. Ce gouvernement, même s’il doit évidemment faire plus et mieux, peut être crédité d’actions concrètes : 
• le budget dédié à l’écologie augmente chaque année (+ 1 milliard en 2019),
• des politiques sont entreprises à plusieurs niveaux : prime à la reconversion des véhicules, isolation énergétique des logements, amélioration de la qualité de l’air, recyclage…
• des taxes sont mises en place sur le principe « pollueur payeur » : taxe carbone (abandonnée suite au mouvement des « Gilets jaunes »), taxe de solidarité sur les billets d’avion,
• des choix de financement et des allocations favorables à l’écologie : augmentation du prix du Diesel, dotation de 3 milliards d’euros pour les infrastructures de transport, 6,3 milliards d’euros pour le soutien et le développement des énergies renouvelables, 41 millions d’euros pour l’Office français de la biodiversité…
Des actions résumées dans un document intitulé « Livret de la transition écologique ».

En étant purement factuel, on pourrait dire : « voilà ce que fait concrètement le gouvernement. Que fait concrètement Extinction Rébellion ? ».

C’est bien la question (et la limite d’un mouvement purement contestataire).

Quand l’extrémisme devient contre-productif

Les membres de XR se sont auto-investis d’une mission prioritaire et urgente. Ils paraissent de toute bonne foi. Ils semblent avoir l’énergie des désespérés : celle qui fait fi de la raison et va trop loin. 

Car c’est bien dans le « comment » que tout se complique :

• L’exigence n°2 du mouvement, « la réduction immédiate des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2025 » (soit dans 5 ans), montre une bonne intention mêlée à une certaine naïveté, car alors, selon la cellule de renseignement sur l’énergie et le climat, il faudrait supprimer immédiatement l’ensemble des vols aériens, laisser 38 millions de voitures au garage et déconnecter 26 millions de chaudières à gaz. Bref, c’est une vue de l’esprit, totalement irréaliste, qui décrédibilise ce mouvement et, par ricochet, la cause écologique dans son ensemble.

• L’exigence n°4, « la création d’une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs », ne verse-t-elle pas dans la démagogie, voire le populisme ? Les citoyens ont-ils les qualifications, les compétences, la vision nécessaires pour faire des choix aussi cruciaux, techniques ? 

• Enfin, avec « des principes », une « culture régénératrice », une « vision », des slogans comme « se rebeller est notre devoir », une opposition à « un système toxique » et une « culture dominante », XR sème le doute sur la nature même de son mouvement, qualifié carrément de « secte ésotérique » par Jutta Ditfurth, cofondatrice de Die Grünen, le principal parti écologiste allemand !

Fausse route ? 

La société n’a pas besoin de plus de crispations qu’elle n’en connaît déjà. Empêcher la libre circulation, bloquer des accès, des moyens de transport, n’a pas de légitimité valable, fût-elle la défense de la cause environnementale. L’énergie devrait se porter ailleurs. Elle devrait être créatrice plutôt que bloquante, proposer des solutions plutôt que protester de façon stérile.

Et si Extinction Rebellion se trompait tout simplement de chemin ?

La société a besoin de respecter l’autre.
XR, en prônant la désobéissance civile, bafoue les libertés fondamentales, dont celle de circuler.

La société a besoin de dialoguer.
XR assène un message, et, sans interlocuteur ou porte-parole officiel, n’échange pas, ne construit rien.

La société a besoin d’apaisement.
XR, par son approche extrémiste, ajoute aux tensions déjà très fortes.

La société a besoin de croire que le choix de l’écologie est raisonné, possible et porteur d’espoir.
XR, par sa radicalité, est en passe de caricaturer les défenseurs de l’environnement en activistes hystériques, leur ôtant tout crédit.

Lorsque le blog Biosphère écrit que « ce mouvement pour le climat ne peut qu’être soutenu par l’opinion publique », c’est une nouvelle prise d’otage due à un amalgame. Car, heureusement, on peut s’engager en faveur du climat sans pour autant soutenir un groupe d’activistes radicaux qui organisent des « soulèvements ».

Le but d’une société n’est pas d’organiser le chaos, mais de tendre vers la concorde.

De même qu’un des « rebelles » disait ne plus croire aux « mesures gentillettes qui ont fait leur temps », Extinction Rebellion vit peut-être dans l’illusion que la désobéissance civile sauvera la planète.

Visuel : garryrogers.files.wordpress.com

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